Témoignage d’Annelore (n°5)

14 Mai

Témoignage sur la situation belge antérieure à la loi du 3 avril 2014.

Je suis Annelore, épouse de Sophie et maman d’Emma (3 ans). J’ai déjà écrit un témoignage pour les Enfants d’Arc-en-Ciel lors des débats en France sur le mariage et l’adoption pour tous. Je voulais montrer que lorsqu’il s’agissait de fonder un foyer, en Belgique, tout était plus simple pour les couples de femmes.

Aujourd’hui, avec la nouvelle loi française et les combats encore à gagner en Belgique, nous pouvions penser que les familles homoparentales seraient logées à la même enseigne dans nos deux pays. Mais ce n’est pas encore le cas puisque la PMA reste interdite en France pour les couples homosexuels alors qu’elle est ouverte à toutes les femmes en Belgique. Les centres de fertilité de mon pays continuent donc d’accueillir de nombreuses futures mamans françaises dont le parcours médical est encore rendu plus difficile par ces voyages forcés de l’autre côté de la frontière.

En matière d’établissement de la filiation, les démarches restent discriminantes en Belgique pour les familles homoparentales par rapport aux familles hétéroparentales. Cependant, à lire les récits de nombreuses familles françaises, j’ai quand même le sentiment que les choses restent plus simples chez nous. Difficile d’établir avec certitude si la procédure est en elle-même moins complexe ou si l’on doit évoquer des différences de mentalité entre nos deux pays ou si c’est la nouveauté de la loi qui engendre tous les problèmes et les incertitudes dont témoignent ces familles françaises.

Voici comment cela se passe chez nous :

D’abord, pour que la mère qui n’a pas porté l’enfant puisse être désignée comme parent légal de celui-ci, il faut attendre la naissance du bébé. Ça peut paraître logique de prime abord mais ça ne l’est pas totalement puisque des parents qui souhaitent adopter entament en général les formations à l’adoption avant de savoir si l’enfant qu’ils adopteront peut-être un jour est déjà né quelque part sur la planète. Vous me suivez ?

La première étape de la procédure d’adoption de son propre enfant est une « formation » (en fait, plutôt une séance d’information) donnée par l’autorité compétente en matière d’adoption (en Belgique francophone, la Communauté Wallonie-Bruxelles). Donc, pendant ma grossesse, mon épouse n’avait pas le droit de s’inscrire à cette matinée pour prendre un peu d’avance et réduire le délai d’attente (et donc les risques liés à cette absence de liens officiels avec sa fille). Par contre, un couple gays de mes amis, qui avait suivi toute la procédure et obtenu l’agrément en vue d’adopter à l’étranger, a pu faire valoir sa participation à cette formation quand il s’est agit pour l’un des deux d’adopter le fils biologique de son conjoint finalement conçu par GPA. Donc voilà, un coup, « ça compte », un coup, on peut pas… Bref.

L’idée est donc de suivre une procédure d’adoption « intrafamiliale ». Je mets des guillemets parce que contrairement à la France, la Belgique ne réclame pas forcément l’existence préalable de liens familiaux officiels entre l’adopté et l’adoptant et, donc, n’impose pas aux parents d’être mariés pour pouvoir adopter son enfant. Dans notre cas, nous étions de toute façon mariées depuis des années donc pas de question de ce côté-là.

Les délais d’inscription à la formation sont variables. Des séances sont régulièrement organisées dans différentes villes de Wallonie et il faut attendre que l’une d’elles se tiennent près de chez soi. Pour nous, ça a été relativement vite car Emma n’avait pas encore un mois quand Sophie s’y est rendue. La présence du parent biologique n’est pas requise (heureusement car moi, je vivais avec un nourrisson scotché à mon sein à cette époque).

Ensuite, avec toutes les infos récoltées lors de la matinée, il faut commencer à réunir les pièces du dossier et choisir un organisme d’adoption (public ou associatif) qui va réaliser les entretiens d’évaluation relatifs à votre projet d’adoption. Et là, on sent qu’on joue une pièce qui n’est pas écrite pour nous, c’est-à-dire qu’on essaye de faire rentrer dans les cases de l’adoption intrafamiliale notre famille qui n’a pas grand chose à voir avec cette démarche.

Le plus drôle, c’est que tout le monde en est parfaitement conscient : l’assistante sociale et la psy de l’organisme qu’on avait choisi en tête. Ces entretiens sont conçus pour des personnes qui souhaitent adopter un enfant qui leur est plus ou moins étranger (soit complètement, soit c’est un membre de leur famille qui va « devenir » leur enfant). Alors que nous, nous nous rendons aux entretiens AVEC notre fille endormie dans l’écharpe de portage. Nous sommes des jeunes mamans qui manquent un peu de sommeil, qui gèrent des problèmes d’allaitement, qui racontent leur accouchement et pour qui la filiation ne fait aucun doute. C’est ridicule, les professionnels en conviennent mais on doit quand même débaler notre vie, expliquer pourquoi on a voulu un enfant, comment nos familles ont réagi, etc etc. Et on doit aussi règler la modique somme de 250 euros pour deux fois une heure de blabla.

Une fois, les deux rencontres passées, on reçoit une attestation qu’on joint au dossier avec le consentement de la mère biologique à l’adoption et la requête de mon épouse pour adopter Emma. Tout cela est déposé au tribunal de la Jeunesse en juillet 2011. Emma a alors 3 mois. Ça a roulé, on a plus qu’à attendre d’être convoquées au tribunal.

Sur l’ordre du juge, quelques semaines après, Sophie est convoquée au commissariat pour une « enquête sociale » (ou un terme approchant). Là encore, il s’agit d’un acte purement formel : la logique voudrait que cela vise à s’assurer que nous vivons bien ensemble, qu’il existe bien un lien permanent entre l’adoptant et l’adopté, etc mais en fait, le flic établit simplement un procès verbal d’audition de Sophie qui affirme qu’elle veut adopter Emma. Puis, comme le policier ne demande plus rien et qu’elle est là dans un bureau sans savoir trop quoi dire, elle explique qu’Emma est « la fille biologique de son épouse, Annelore, et qu’elle a été conçue par FIV ». Le flic lui résume sa déclaration qu’elle signe puis une fois dans la rue, en relisant le p.v., elle se rend compte que le gars a écrit « Annelore a été conçue par opération invitro » !!!! Gros fou rire. La confusion des prénoms mèlée au jargon de flic, c’est quand même délicieux !

Bref, rectification, nouveau PV, retour aux greffes du tribunal de la jeunesse et on attend à nouveau des nouvelles. En décembre, ne voyant rien venir, je téléphone au tribunal qui m’explique que « si, si, ça avance, on attend l’audition de vos parents » ! Là, je suis scandalisée. Sophie reçoit cette nouvelle comme une humiliation. Jusque là, on trouvait tout ça ridicule, parfois rigolo mais là, c’est consternant. J’apprends de la juge en personne que nous pouvions nous opposer à ce que les ascendants soient entendus mais que c’est la police qui devait nous informer de cette possibilité, chose que l’inspecteur Labavure a évidemment oublié de nous préciser !

Nous nous entendons à merveille avec mes parents et jamais ils ne se seraient opposés à cette filiation qu’ils trouvent bien entendu naturelle. C’est le principe de demander l’avis des ascendants que nous trouvons insupportable même si cet avis n’est pas forcément pris en compte (d’après la juge). Humiliant et inutile, à l’image de toute cette procédure.

C’est finalement au printemps que nous sommes enfin convoquées au tribunal de la jeunesse. Emma a 11 mois. Nous rencontrons enfin « en vrai » la juge en charge de notre dossier. Elle est très sympa, le procureur aussi. L’audience est une formalité. Emma gazouille et plait beaucoup aux magistrats. Comme tout au long de la procédure, les professionnels rencontrés n’ont aucune hostilité à l’égard de notre famille, ils nous comprennent et sont désolés de devoir nous infliger des démarches aussi longues et pénibles mais « c’est ainsi ».

A ce moment, nous pensons en avoir fini avec la justice mais nous devrons malheureusement revenir au tribunal une seconde fois car nous avions demandé à ce que notre fille porte nos deux noms accolés, ce que la juge nous a accordé avant de se rendre compte quelques jours plus tard que cette possibilité était interdite en cas d’adoption plénière. Lors de la seconde audience, nous demandons donc à ce que soit noté dans le procès verbal que nous regrettons d’avoir à choisir un seul de nos deux noms (le mien, nom de naissance d’Emma). La loi sur le nom de famille est sur le point de changer en Belgique; deux ans après cette adoption, nous espérons donc qu’elle aura un effet rétroactif et que nous pourrons enfin donner à Emma nos deux patronymes.

Il aura fallut 13 mois en tout pour que la filiation entre Emma et sa maman soit enfin reconnue. Quelques semaines plus tard, nous figurions toutes les deux comme parents sur sa toute nouvelle carte d’identité et elle était enfin inscrite dans notre carnet de mariage (chose qui nous avait été refusée lors de son inscription dans les registres de la population à sa naissance).

En matière de filiation, la Belgique est donc loin d’être un paradis. Cependant, jamais nous n’avons du « faire la preuve » de cette filiation, des liens affectifs entre Emma et Sophie. Tout est basé sur la déclaration et le consentement, ce qui est à mon sens une bonne chose. A aucun moment, nous n’avons ressenti des obstacles au niveau des mentalités : chacun a joué son rôle à un niveau administratif ou légal mais sans jamais remettre en question la légitimité de notre famille. Je pense que cela prouve, s’il le fallait encore, l’absurdité de la situation et l’urgence à modifier la loi pour que la filiation s’établisse de la même façon que pour les couples hétéros.

En France comme en Belgique, il faut que les choses bougent. Nos enfants et nos familles sont encore trop longtemps légalement fragilisés par ces procédures longues et humiliantes.

 

Annelore

 

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